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« Ne me touchez pas, je suis paralysé »

Article paru dans le journal SUD OUEST
du 19 mars 2019

« Ne me touchez pas, je suis paralysé » : Benoît Dauga revient sur son grave accident, en 1975

Aujourd’hui, Benoît Dauga a 76 ans. Malgré une légère insensibilité aux mains et aux pieds, il a retrouvé presque toutes ses capacités . 

Victime d’une élongation de la moelle épinière en 1975, Benoît Dauga a été un des premiers blessés graves dans le monde du rugby. Aujourd’hui, alors que les décès se multiplient, l’ancien international et président du Stade Montois témoigne.

Il a été l’un des premiers que le rugby a concassé. « Le Grand Ferré », Benoît Dauga pour les profanes, est resté paralysé et hospitalisé pendant trois mois à Bordeaux, après un plaquage en match, en janvier 1975. Sa moelle épinière était touchée. À 32 ans, alors qu’il avait été rappelé en équipe de France pour encadrer une formation jeune pendant le Tournoi des cinq nations, il a dû subitement mettre un terme à sa carrière.

Aujourd’hui, l’actualité est lourde au sujet des décès et des blessés graves dans le rugby. Benoît Dauga, qui fait partie du comité exécutif de la fondation Albert Ferrasse pour venir en aide aux grands blessés du rugby, a accepté de nous livrer son éclairage sur la situation actuelle.

 « Sud Ouest ». Votre blessure, comment est-ce arrivé ?

Benoît Dauga : J’ai été victime d’un des plus graves accidents qu’il soit arrivé à un joueur de rugby. J’ai eu une élongation de la moelle épinière, sur un plaquage contre Dijon, ici, en championnat, le 12 janvier 1975.

Vous vous souvenez de la date exacte ?

Ah oui. Je suis resté totalement paralysé, mais j’étais lucide. Je n’avais que les yeux qui bougeaient. Je pouvais pas bouger. Je m’en suis rendu compte tout de suite. J’ai dit à mes coéquipiers : « Surtout, ne me touchez pas, je suis paralysé ! »

L’action était-elle licite ?

Oui. C’est ma faute. En plaquant un deuxième ligne de Dijon, avec le front, je tape sur sa hanche. J’ai eu le coup du lapin, ma tête est partie en arrière. J’ai eu de la chance : si j’avais eu la tête penchée vers l’avant, j’y passais. Quand je suis arrivé à l’hôpital Pellegrin, à Bordeaux, à côté de moi, il y avait le pilier du Racing, Georges Magendie, qui, huit jours avant, avait eu ça : le coup du lapin vers l’avant. Lui, il avait carrément une rupture de la moelle épinière. Les médecins l’ont tenu en vie pendant quinze jours, et après, il est décédé…

Mais moi, ils me l’ont dit deux ou trois mois après. Je suis resté six mois au centre de rééducation de la Tour de Gassies, à Bruges. On était 180, mais j’étais le seul sportif. C’était tous des cassés de la moto.

Aujourd’hui, êtes-vous totalement rétabli ?

J’ai mis trois ans pour être autonome. Mais j’ai toujours des séquelles aux extrémités, aux mains, aux pieds, j’ai du mal à appréhender la sensibilité. Ce que j’ai récupéré en dernier, c’était les mains, donc je ne pouvais pas même pas me lever tout seul pour marcher. Un mauvais souvenir. J’avais quelques difficultés pour m’habiller, conduire. Je ne peux plus chasser, alors que j’adorais ça ! Ce n’est même pas dangereux pour moi, mais c’est pour les autres (rires) !

Vous dites que vous en gardez un mauvais souvenir ?

Très très mauvais.

Que diriez-vous aux joueurs que le rugby handicape, aujourd’hui ?

Il faut s’accrocher. Moi, je n’avais rien, à part le rugby. Pas de métier. J’avais mon bar, mais j’ai été obligé de prendre une employée. Comme ça, j’ai mis un pied chez Ricard.

Plus tard, un ami m’a dit : « Pourquoi on ne monterait pas une société de location de véhicules ? T’es pas d’accord ? ». J’étais d’accord, et on a monté ça. Je me suis recyclé.

Au bout de trois ans, la Fédération m’a proposé de devenir sélectionneur une fois que j’aurais recouvré pleine possession de mes moyens. Donc j’ai fait sélectionneur pendant six ans. Le milieu du rugby ne m’a pas laissé tomber. C’est important de le savoir.

Diriez-vous que les accidents sont plus nombreux aujourd’hui ? Plus violents ? Plus médiatisés ?

Je crois que tout le monde est conscient du problème. Avec la Fondation Ferrasse, on est en relation avec tous les acteurs, et tout le monde œuvre à trouver des solutions.

Que faut-il faire ?

Changer les règles ? Lesquelles ? On ne peut pas dire aux joueurs d’être moins costauds, de plaquer moins fort, d’aller moins vite. Modifier la règle des déblayages autour des rucks, c’est peut-être la première chose à faire. Techniquement, il faudrait réapprendre à jouer debout, comme les All Blacks ou comme Toulouse le fait en ce moment.

Aviez-vous conscience, à l’époque, que le rugby pouvait mener à de tels accidents ?

Non. Mais maintenant, ils l’ont. Le médical, la prévention, tout ça a beaucoup progressé depuis mon époque. Les joueurs sont sensibilisés, et c’est très bien.

Le rugby est-il devenu un sport dangereux ?

(Il réfléchit). Non, non. C’est un sport d’engagement. On l’aime ou on ne l’aime pas, mais c’est comme ça.

CV : Benoît Dauga

EX-DEUXIÈME OU TROISIÈME LIGNE CENTRE DU STADE MONTOIS

Né le : 8 mai 1942 (76 ans) à Montgaillard (Landes), 1,95 m.

Surnom : Le Grand Ferré.

Palmarès : 63 sélections avec le XV de France, 9 fois capitaine. Triple vainqueur du Tournoi des cinq nations (1967, 1968, et 1970). Président du Stade Montois de 2003 à 2007.

Patxi Vrignon-Etxezaharreta.