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Nicolas Crubilé : entraîneur dans un fauteuil

Article paru dans RUGBY MAG (n° 1135 de juillet 2014)

Titulaire d’un brevet d’état, il ambitionne d’obtenir son diplôme.

Nicolas Crubilé : entraîneur dans un fauteuil

Talonneur du centre de formation de Montauban, Nicolas a vu son monde s’écrouler à 20 ans, en 2006, sur un grave accident de jeu. Il en a reconstruit un autre autour de sa passion pour l’entraînement et il est devenu un technicien crédible. Telle est l’opinion de Yannick Bru qui lui a rendu visite le mois dernier à Castelsarrasin et qui est convaincu de sa réussite prochaine, pourquoi pas chez les pros.

Quand il avait promis à Serge Gros, vice-président délégué de la Fondation Ferrasse, de rendre visite à Nicolas Crubilé à Castelsarrasin, Yannick Bru ne pouvait imaginer que l’affliction et la commisération présidant à chaque rencontre avec un grand blessé du rugby auraient si peu de place dans la salle, pourtant vaste, mise à disposition des deux hommes par l’hôtelier ; qu’elles fondraient tout de suite, en même temps que le sucre du café, au profit d’un échange étonnamment riche, presque à armes égales, entre deux passionnés du jeu. Chacun muni de son ordinateur, ils s’y sont immergés pendant deux bonnes heures en fin de matinée, au point de se faire attendre pour le déjeuner, et deux autres encore après le dessert, prolongation qui ne figurait pas sur l’emploi du temps surchargé de l’entraîneur tricolore avant le départ en Australie. En lever de rideau, Nicolas avait offert à son interlocuteur un ouvrage intitulé Secrets de coachs(1). A l’issue de l’entretien, Yannick Bru n’en avait plus beaucoup pour celui qui, il en est convaincu, deviendra coach à son tour, peut-être au plus haut niveau.

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Nicolas Crubilé est originaire d’Angeville, il a grandi dans une famille d’agriculteurs et de rugbymen : son père et tous ses cousins ont joué au Stade Beaumontois, son frère est actuellement talonneur au CA Castelsarrasin. Nicolas était talonneur aussi, au centre de formation de Montauban, en même temps que Laurent Delboubès (UBB) et Romain Sazy (La Rochelle). Il avait 20 ans quand l’accident s’est produit, le ler avril 2006, sur une mêlée tournée : « Physiquement, j’étais peut-être le plus prêt de tous : depuis l’âge de 16 ans, je m’entraînais tous les jours. Dangereux, le rugby ? Celui qui entre dans sa voiture prend plus de risques que le joueur qui entre en mêlée. Le rugby était ma passion et mon travail, le corps étant l’outil de travail. Un monde s’est écroulé, j’en reconstruis un autre. L’indemnité de l’assurance m’en a laissé le temps ».

Au centre de rééducation, il avait rencontré Karine et il était reparti avec elle. Au mois de mars, elle lui a donné une petite Léa. Leur maison est terminée depuis l’année dernière, elle a été conçue avec un bureau de 40 m2 sur le côté, « cerveau de la NASA » dans lequel l’ingénieur assouvit sa passion tout en préservant sa compagne: « Chaque homme traîne un handicap. Je n’ai pas voulu être regardé comme « le pauvre Nico », j’ai voulu sortir de la case. La vie de tous les jours est la meilleure rééducation : je vais à la pêche, aux champignons aussi avec un quad adapté. Mais j’ai le rugby en moi, la culture de la mêlée. l’entraînement m’a toujours intéressé, je me suis toujours demandé ce que je faisais sur le terrain, ce que je pouvais apporter au groupe. J’avais le désir d’utiliser à 100% mon potentiel. Le seuil d’incompétence que le joueur n’a pu connaître, c’est maintenant l’entraîneur qui le recherche ».

L’objectif de Nicolas est d’appartenir à un staff de Fédérale 2 pour commencer, avec le statut d’adjoint ou en s’appuyant sur deux adjoints. Il s’est inspiré au départ de Conquet, Deleplace et Woodward mais aussi de Deschamps et Onesta, même de Machiavel et Sun Tzu. Il propose aujourd’hui sa propre approche de la performance. Il regarde cinq ou six matchs par semaine, dont un proche assure le montage. Après avoir vécu une courte expérience de directeur sportif à Castelsarrasin (2010-2011), il reçoit maintenant chez lui des lanceurs qu’il fait travailler sur des cibles. Il intervient au centre de formation de Montauban, qu’il utilise un peu comme un laboratoire ; il est en relation avec Xavier Pémeja comme il le fut avec Laurent Travers. Cet hiver, il s’est déplacé à Bordeaux pour y rencontrer longuement Régis Sonnes, à Agen, à Toulouse et à Colomiers également. Son seul problème est d’obtenir une place de laquelle il puisse observer comme a besoin de le faire un technicien, pas un supporter. Titulaire d’un brevet d’état, il lui reste un module à valider pour être diplômé. Dans sa situation, il s’agit d’un obstacle majeur qui en a découragé d’autres. Serge Gros indique : « Une démarche est en cours, menée par la DTN auprès du ministère pour que les modules deviennent accessibles à un handicapé.Nous avons bon espoir qu’elle aboutisse, en dépit de la complexité d’un tel dossier ».

Nicolas Crubilé entend être évalué sur sa compétence. Il ne veut pas d’un diplôme au rabais mais avoue qu’il n’est pas certain d’être physiquement performant : « Pour qu’un club me fasse confiance, je dois être en bonne santé. C’est pourquoi je fais chez moi, chaque jour, une heure et demie de musculation sans kiné, plus une ou deux séances de piscine par semaine. Il n’empêche : par temps de pluie, je ne suis pas en mesure d’animer un entraînement ». Le salut du garçon passe peut-être par un nouveau type de fauteuil qui rétablit l’équilibre en permanence grâce à une technologie au laser. Quant à sa compétence, elle a laissé Yannick Bru admiratif : « Peu de techniciens vont aussi loin dans la formalisation de leur pensée, confiait le coach des avants tricolores. Non seulement Nicolas est un passionné mais il est en même temps crédible. Il a effectué des recherches très pointues, son analyse est pertinente, sa maturité remarquable. Il a décrypté tous les matchs du XV de France et il suffit que je lui livre l’amorce d’un de nos débriefings pour qu’il en trouve la suite »

Yannick Bru a obtenu de Jean Dunyach, vice-président en charge du haut niveau, que Nicolas Crubilé soit invité à Marcoussis pour assister à la préparation d’un test de novembre. D’ici à ce qu’il intervienne devant les joueurs …

(1) « Secrets de coachs », de Daniel Riolo et Christophe Paillet ; chez Hugo & Cie.

Journaliste : Jean-louis Lafitte – Photographe : Michel Delsol